« Les photos qui m’intéressent, que je trouve réussies, sont celles qui ne concluent pas, qui ne racontent pas une histoire jusqu’au bout mais restent ouvertes… un marchepied du rêve. »
Cette phrase, signée Robert Doisneau, donne le ton de la nouvelle exposition Instants donnés au Musée Maillol, à Paris. Une plongée sensible et foisonnante dans l’univers d’un photographe que l’on croit connaître — mais que cette exposition réussit à révéler autrement.
Une vie en images, un regard toujours en éveil
Jusqu’au 12 octobre 2025, le Musée Maillol accueille la plus grande exposition parisienne consacrée à Robert Doisneau depuis des années. Elle réunit plus de 350 photographies, choisies parmi les 450 000 que renferme la collection. Des tirages rares, des collages, des documents inédits, dans un parcours riche, intelligent et profondément humain. Témoignage unique sur une époque qui va des années 30 aux années 80. Faux témoignage, disait-il, et sans doute n’avait-il pas tort. La photographie est l’art de l’illusion.
Une approche complète de l’homme
Doisneau, ce n’est pas seulement Le Baiser de l’Hôtel de Ville. Derrière cette icône se cache un photographe bien plus subtil qu’on ne l’imagine souvent. Un homme ancré dans son époque, dans son métier, dans sa ville et sa banlieue. Un rêveur lucide, un artisan de l’image, toujours à la recherche d’un instant fragile, d’un éclat de vérité.
L’exposition entend justement casser l’image un peu figée du « photographe du bonheur ». Oui, il y a de la tendresse, de l’humour, une vraie poésie du quotidien. Mais il y a aussi des zones d’ombre, de gravité, de doute. Car Robert Doisneau ne fuyait pas le réel — il l’embrassait tout entier, dans ce qu’il avait de drôle, d’absurde ou de douloureux.
Un parcours vivant, thématique et incarné
Le parcours, conçu par Tempora et l’Atelier Robert Doisneau, suit une logique claire mais jamais rigide. Il s’articule autour d’une dizaine de thématiques transversales : Enfance, Ateliers d’artistes, Écrivains, Gravités, Banlieues, Bistrots, Les Années Vogue, entre autres. Chaque salle est une respiration, une facette différente de l’homme derrière l’appareil, qu’il ne quittait jamais.
On y croise des enfants libres comme l’air, des artistes concentrés dans leur atelier, des visages marqués par le labeur ou la précarité, des écrivains en pleine rêverie, des scènes de rue pleines de vie et de tension. Il y a des sourires, oui, mais aussi des silences, des absences, des regards qui vous attrapent et ne vous lâchent pas.
Dans certaines sections, des objets, des extraits audio, des vidéos d’archives viennent enrichir l’expérience. Un audioguide, porté par la voix même de Doisneau, invite le visiteur à écouter le photographe raconter ses images, son métier, ses doutes. Un vrai bonheur pour les oreilles et l’âme.
L’homme derrière la légende
Ce que montre cette exposition, c’est aussi le photographe au travail, celui qui gagnait sa vie en répondant à des commandes, en photographiant pour Vogue ou pour des publicités alimentaires. Un homme lucide, qui savait très bien faire la différence entre ses convictions et ses contraintes. Il disait avec humour : « J’ai élevé mes enfants grâce aux biscuits. »
Mais même dans ces commandes, il glissait son regard, son empathie, cette forme de respect invisible mais constante pour les gens qu’il photographiait. Il n’a jamais été un voyeur. Il était plutôt un complice discret, un inventeur d’histoires à partir du réel.
Doisneau, toujours vivant
L’exposition se termine par une installation consacrée .. au fameux Baiser de l’Hôtel de Ville. Il la considérait presque comme un malentendu, tant elle a cristallisé une image romantique de Paris et de son œuvre. Mais l’humour et la distance de Doisneau l’en préservent. Il souriait à la postérité sans s’y prendre au sérieux.
À travers cette exposition, c’est tout l’homme qui apparaît : son œil, bien sûr, mais aussi sa voix, sa pensée, son quotidien. On découvre même ses collages, ses expérimentations, comme des échappées ludiques loin du cadre classique. Une liberté créative qui fait écho à son approche de la photographie : ouverte, généreuse, profondément vivante.
Une exposition à ne pas manquer
Qu’on soit passionné de photographie, amoureux de Paris, ou simplement curieux d’un regard singulier sur le monde, Instants donnés est une exposition qui touche, qui résonne, qui fait du bien. Elle donne envie de regarder autrement, de ralentir, de savourer. Elle rappelle que la beauté est souvent là, juste sous nos yeux — encore faut-il apprendre à la voir. Un enchantement !
Exposition Robert Doisneau Instants Donnés, du 17 avril au 12 octobre 2025.
Musée Maillol, 59-61, rue de Grenelle, 75007 Paris. www.museemaillol.com
Ouvert tous les jours de 10h30 à 18h30 – Nocturne le mercredi jusqu’à 22h
Tarifs : 16,50 € (plein) / 12,50 € (jeunes 6-25 ans)
Audioguide inclus, avec la voix de Doisneau
Billetterie : www.expo-doisneau.com
Robert Doisneau, Instants donnés. Catalogue de la rétrospective Robert Doisneau, Tempora, Bruxelles, 2025. • 288 pages avec 270 photographies dont 19 en couleurs et 18 illustrations. • Auteurs : Isabelle Benoit, Francine Déroudille, Annette Doisneau, Benoît Remiche. • Prix: 45 €
Affiche de l’exposition : Cette image Le Saut- 1936 @ Atelier Robert Doisneau fait partie de la série des enfants. Elle a été prise dans le 13e arrondissement de Paris en 1936. Une photo rare de Robert Doisneau et quasiment jamais publiée.
